Un monde nouveau: Arte diffuse actuellement une série documentaire en 3 épisodes réalisée par l’écologiste Cyril Dion. Elle brosse un panorama international de nos sociétés, confrontées vraisemblablement à la plus grave crise environnementale que la planète ait connue depuis l’apparition de notre espèce. Vous vous demandez peut-être quel est le rapport avec la sociocratie ?

Dans le premier épisode, intitulé “Résister”, Cyril Dion commence par poser les enjeux de la crise. Est-ce si grave ? Les êtres humains se sont toujours adaptés, non ? Pour dépasser le déni et la minimisation des faits, il met en évidence, en donnant la parole à différents chercheurs, que cette situation nous concerne tous, dès aujourd’hui. Climat, biodiversité, agriculture, océans, eau potable, accès à l’énergie… : la trajectoire du “laisser faire” (en anglais, on dit “business as usual”, expression évocatrice) implique concrètement d’aller de plus en plus loin dans un effondrement de la biosphère terrestre, ce système autorégulé qui a permis la vie humaine pendant des dizaines de milliers d’années. Il ne s’agit plus d’un futur lointain. Il s’agit du présent. Il s’agit d’influer sur ce que nous, adultes, allons vivre pendant notre existence, et aussi sur ce que vont vivre nos enfants d’ici 2100. Nous n’avons pas 20 ans devant nous pour continuer à débattre de la question ou à faire semblant que le problème va être réglé de façon humaine et raisonnable grâce au pouvoir providentiel des États, du marché et des nouvelles technologies. Sinon nous n’en serions pas là !

C’est pourquoi Cyril Dion nous fait rencontrer des personnes impliquées dans des mouvements résolus à ne pas “laisser faire”, à travers des actions collectives de résistance non-violente, mais aussi, dans les deux épisodes suivants, dans des actions de transformation économique et sociale ou encore de régénération des écosystèmes à grande échelle.

Le Wohnprojekt, un immeuble écologique géré par ses habitants.

Parmi ces différentes initiatives, nous découvrons le Wohnprojekt, un habitat participatif à Vienne en Autriche, achevé en 2014, composé de 39 appartements (à voir dans l’épisode 2, à partir de 38:30). Par cet exemple, Cyril Dion souhaite illustrer comment peut se concrétiser la coopération nécessaire à des changements radicaux dans nos modes de vie et dans la gestion des infrastructures sociales (énergie, transports, habitat…). Le reportage illustre le grand nombre de services et d’espaces qui sont partagés et co-gérés par les habitants de l’immeuble (commandes groupées auprès d’agriculteurs bio, jardins potagers, vélos cargos…). Le témoignage touchant d’un réfugié syrien, qui y est installé avec sa famille, atteste par ailleurs du haut niveau de sécurité psychologique et de confiance qui a été établi dans cet immeuble.

Mais comment font-ils ? De nombreuses personnes ont l’expérience du fonctionnement laborieux des copropriétés et syndics d’immeubles qui feraient obstacle à des initiatives de mutualisation et d’entraide. Par ailleurs, de nombreux autres projets d’habitat partagé ou d’écovillage peinent à se concrétiser, ou bien perdent avec le temps leur caractère solidaire, à cause des difficultés relationnelles et organisationnelles qui surviennent. En effet, plus l’interdépendance est forte, plus les motifs de conflits potentiels sont nombreux. Je crois que le repli “chacun chez soi” n’est pas qu’une affaire de valeurs : c’est pour beaucoup de personnes une stratégie de protection, qui permet d’éviter des situations, des responsabilités, que nous ne nous sentons pas en capacité de vivre personnellement, ni de gérer collectivement. Il s’agit en grande partie d’un manque de “ressources” (dans le sens psychologique et social).

Des habitantes témoignent dans le documentaire que la communauté est organisée de manière sociocratique. L’ensemble des tâches est réparti entre des groupes de travail thématiques qui peuvent prendre des décisions de façon autonome (cercle sociocratique). Selon elles, la prise de décision est “beaucoup plus rapide et plus efficace” grâce à ces groupes dans lesquels on ne recherche pas que “tout le monde soit d’accord mais que cela puisse convenir à tout le monde” (règle du consentement, définie comme une absence d’objection et non comme un consensus). Sur le site internet du Wohnprojekt on découvre sans surprise un lien vers le Centre sociocratique d’Autriche, qui est une branche du “Soziokratie Zentrum”, une organisation sans but lucratif également active en Allemagne et en Suisse. De nombreux autres habitats partagés et écolieux dans le monde ont construit une gouvernance sociocratique. Toutefois, cette démarche suppose une certaine rigueur, cela ne s’improvise pas. Ainsi, Diana Leafe Christian, une spécialiste des “communautés intentionnelles”, a partagé dans une présentation vidéo 4 conditions nécessaires, d’après son expérience, pour aboutir à un fonctionnement efficace et pérenne avec la sociocratie.

La présentation du fonctionnement collectif du Wohnprojekt est succincte, la sociocratie n’étant pas le sujet du documentaire. Les liens entre écologie et sociocratie étant un sujet qui me passionne, je propose d’ouvrir cette réflexion dans un autre article plus détaillé, que vous pouvez lire et télécharger ici :

La sociocratie : un axe stratégique pour comprendre et répondre à la crise écologique ?

Thomas Marshall


Membre actif du Centre Français de Sociocratie
Formateur agréé par le CFS

Thomas Marshall

Responsable du Cercle de gestion du dispositif d’agrément