Cet article rend compte d’une présentation des méthodes sociocratiques par Thomas Marshall dans le cadre d’un module de formation lors de l’Université d’été de la solidarité internationale (CRID), le 5 juillet 2012 à Lyon. Ce module portait sur les formes d’action citoyenne au niveau local et leurs articulations possibles.
L’intention :
La sociocratie est un mode d’organisation, de communication et de prise de décision applicable à tous les domaines de la vie sociale. Il permet un changement de paradigme basé sur le principe de l’équivalence, pour sortir des rapports dominant / dominé.
Je voudrais partager avec vous quelques réflexions issues de mon expérience associative, éclairée par la méthodologie du cercle sociocratique. Ce sont des questions qu’il me semble important de se poser dans toute situation de travail de groupe.
1 – A quoi sert ce groupe ?
Cette question se pose quand on crée un groupe citoyen, une association, un collectif. Elle est aussi posée par l’arrivée de nouveaux membres.
Ce qui rassemble et donne de l’énergie, c’est d’avoir un but commun. Au départ, le groupe émerge autour d’un idéal, d’une cause à défendre, d’un sujet de lutte.
Changer le monde n’est pas un but, c’est une aspiration. Il y a de nombreuses façons de contribuer à sa réalisation.
Formuler notre but, c’est dire ce que nous pouvons recevoir en contrepartie de notre engagement collectif.
Groupes selon 3 types de buts |
Groupe d’entraide |
Groupe d’étude |
Groupe de réalisation |
Besoin principal sous-jacent |
Etre en lien |
Connaître |
Influencer |
Pour mobiliser l’énergie de ses membres, un groupe a besoin de définir clairement quel est son but principal, même si d’autres buts secondaires sont aussi présents.
Si le groupe prend de l’importance, il peut être nécessaire de créer en son sein des sous-groupes qui correspondent à un sous-but contribuant au but commun. Par exemple, au sein d’un groupe militant, il est parfois utile de constituer une équipe de volontaires chargés d’approfondir les sujets, de suivre l’actualité et y réfléchir ensemble. Cette équipe fournira des argumentaires utilisables lors d’une action publique.
2 – A quoi sert cette réunion ?
Chez les militants associatifs, la réunion est un sport très prisé. Qui n’a pas connu de réunion paraissant interminable, et d’en sortir avec l’impression qu’elle n’a servi à rien, à part revoir les copains. Dans ce cas, ne valait-il pas mieux aller boire un verre ensemble ?
Les pires réunions que j’ai connues sont celles qui étaient légitimées par l’argument de la démocratie directe et de l’horizontalité totale. D’où des assemblées de plusieurs dizaines de personnes qui s’expriment dans tous les sens. A la fin, tout le monde en sort frustré, sauf les quelques uns qui ont capté la parole dans des joutes oratoires. Je pense notamment à des A.G. lors de grèves étudiantes.
Pour économiser notre temps et notre énergie, il est important de se poser la question :
Une réunion pour quoi faire ? Avec qui ?
Dans toute organisation, il y a un temps pour chaque chose. La sociocratie distingue ainsi :
Type de réunion |
La réunion de cercle |
La réunion de résolution de problème |
La réunion de coordination |
Objectif |
Prendre une décision importante pour le groupe |
Examiner un problème et formuler une proposition |
S’organiser pour agir |
Avec qui ? |
Avec les personnes concernées par sa mise en œuvre |
Avec les personnes compétentes et motivées |
Avec les personnes qui agissent concrètement |
3 – Quelles sont nos règles ?
« Pas de règles, soyons spontanés ! » : ceux qui prônent cela imposent en fait leurs propres règles mais sans les dire ni accepter qu’on puisse en discuter. Cela n’est pas forcément conscient, le plus souvent il s’agit simplement du poids des habitudes. Vous avez sans doute déjà vécu des réunions pendant lesquelles s’appliquaient des règles implicites telles que :
« Il faut se battre pour prendre la parole, puis tenter de la garder le plus possible. »
« La majorité a toujours raison. »
Des règles implicites peuvent suffire dans un groupe de petite taille, homogène, avec des personnes habituées à travailler ensemble, capables de s’autoréguler. C’est donc très exigent et l’équilibre qui en résulte est fragile.
L’intérêt du cercle sociocratique est d’instituer des règles de fonctionnement de base qui assurent au groupe la sécurité nécessaire pour discuter ouvertement et décider ensemble de tous les sujets même les plus délicats, lourds de tensions, d’enjeux affectifs, de rapports de force. En l’absence de cette sécurité, ces sujets restent dans le non-dit ou font l’objet des discussions de couloir et jeux d’influence informels.
4 – Faire circuler la parole
Reconnaissons qu’il n’y a jamais d’égalité dans un groupe : ses membres sont inégaux en compétences, en expérience, pour l’aisance à parler. Des facteurs interviennent fortement comme le niveau d’études, le genre. En effet, les hommes et les femmes acquièrent culturellement des attitudes différentes, les premiers ont tendance à parler plus et à couper davantage la parole quand c’est une femme qui s’exprime.
C’est pourquoi la circulation de la parole gagne à être régulée par un animateur ou facilitateur qui se préoccupe davantage de la dynamique de groupe que des sujets traités.
Tout en reconnaissant ces inégalités de fait et la nécessité de répartir fonctions et responsabilités pour la bonne marche du groupe, la spécificité du fonctionnement sociocratique est de chercher à rétablir une équivalence entre les membres : nul ne peut imposer son point de vue, même une majorité sur une minorité. C’est la règle du consentement, qui se distingue de la recherche d’un consensus ou d’un accord unanime.
Nous ne donnons ici qu’un bref aperçu de cette approche qui permet de développer une véritable intelligence collective. C’est une pratique qui requiert un vrai savoir-faire et avant tout un changement de posture personnelle, tant cela va à l’encontre de ce que nous avons intériorisé dans nos expériences sociales depuis notre plus jeune âge. A travers ces quelques réflexions, nous vous proposons de faire évoluer votre regard sur vos expériences de groupe, et ainsi de cheminer vers plus de plaisir en réunion !
Thomas Marshall membre du MAPIC www.appel-consciences.info – Facilitateur certifié par le Centre Mondial de Sociocratie